Julie se déconventionne en septembre 2021, 12 ans après l’obtention de son diplôme d’orthophoniste. Aujourd’hui elle a 90 patients par semaine soit plus que la moyenne hebdomadaire d’un orthophoniste conventionné (80, source FNO).
Séverine, elle, s’est déconventionnée depuis janvier 2023. Pour Docorga, elles démystifient sans taboue la pratique déconventionnée.
Julie et Séverine s’accordent toutes deux sur une chose : le conventionnement des orthophonistes en France est très tabou. Julie explique : “le déconventionnement c’est un gros mot aujourd’hui !” Elle témoigne aujourd’hui pour lever le tabou, les croyances et les freins qui empêchent de sauter le pas.
Ne pas se conventionner, c’est dire non à un régime qui ne convient pas. Julie et Séverine dénoncent une convention trop rigide, qui “s’apparenterait à du salariat”.
Selon les chiffres de la DREES, les orthophonistes déconventionnés représenteraient entre 0.5 et 1% de la profession.
Le conventionnement à la CPAM en début d’activité libérale n’est pas obligatoire. Alors pourquoi le non-conventionnement est-il tabou en orthophonie, alors qu’il ne l’est pas pour d’autres professions de rééducation comme les orthoptistes, ou les masseurs-kinésithérapeutes ?
- Selon Julie, cela serait dû “à la peur d’être montré du doigt”, le déconventionnement étant perçu comme non éthique au vu des temps d’attente record de la profession. Vous allez voir que la réalité du terrain nuance cette croyance.
Le manque d’information. Au vu du très faible nombre d’orthophonistes non conventionnés, on trouve très peu d’infos en ligne montrant la marche à suivre.
Pourquoi se déconventionner ?
Avant toute chose, il est nécessaire de souligner qu’un orthophoniste, qu’il soit conventionné ou non reste orthophoniste. En ce sens, un orthophoniste non conventionné et bien entendu à même de diagnostiquer et réaliser des bilans. Julie et Séverine notent 5 raisons qui les ont poussées à se déconventionner.
1/ Le besoin d’élargir la pratique
De nombreux professionnels souhaitent diversifier leur exercice.
Julie souhaitait pratiquer l’exercice de groupe pour les troubles de l’apprentissage holistique, ce dans quoi elle est spécialisée. Cela est “illégal” dans la pratique conventionnée. Elle ajoute que “dans la pratique conventionnée, on ne peut prendre que 5 enfants à la fois, pour un montant dérisoire de 12€ par enfant.” Severine explique que l’accompagnement de groupe est un moyen essentiel pour réduire l’attente, faire plus de bilans et accompagner plus de monde. “Aujourd’hui, je fais 2 bilans par semaine, j’ai environ ⅓ de petits groupes et ⅓ binômes dont la ¾ sont des enfants.”
Le déconventionnement permet aussi de mieux valoriser la formation continue des orthophonistes, selon Sévèrine : “j’ai fait une formation en langage écrit et en logicomaths (module de 2 jours sur plusieurs semaines et sur 3 ans) dont l’investissement a été très important. Je voulais que mes formations aient un meilleur impact sur mes honoraires”.
Depuis, elle a étendue sont champs d’expertise à la “musicothérapie, à la kinésiologie ou encore la micronutrition…”
2/ Plus de temps pour le soin et pour soi
Les orthophonistes non conventionnées revendiquent plus de temps pour plus de possible : en somme “faire ce qu’elles aiment, être plus passionné”.
Severine avait le sentiment de manquer de temps pour faire correctement ses bilans. Aujourd’hui, “mes bilans sont plus complets et je prends plus de temps pour les échanges interdisciplinaires, essentiels dans le parcours de soins du patient. D’ordinaire, je n’ai pas le temps d’appeler les gens, 30 minutes par-ci par-là ce n‘est pas possible. Depuis que je suis déconventionnée je fixe des créneaux de 3h en présence du patient (bilans, tests etc), auquel s’ajoute 3h d’analyse et rédaction du compte rendu de bilan. Pour finir, je prends le temps d’un débriefing avec la famille. Ce temps en plus permet selon elle de déceler plus de troubles que si elle avait rédigé le compte rendu pendant la séance. “Souvent ce n’est pas une pathologie mais des répercussions à droites et à gauche et il faut fouiller partout”.
“Il y a aussi les réunions à l’école avec les équipes éducatives qui ne sont pas rémunérées, ce qui est aberrant. Ce n’est pas dans la nomenclature. Du coup, il y a beaucoup d’orthophonistes qui n’y vont pas alors que c’est super important notamment pour former les enseignants et les parents sur ce qui doit les alerter.
3/ Fixer ses propres tarifs
En tant qu’orthophoniste conventionné, les tarifs sont stricts sous peine d’interdiction d’exercer.
Severine confie “l’orthophonie manque de reconnaissance concernant l’AMO. L’AMO ça fait 11 ans que ça n’a pas bougé. À savoir que les tarifs sont les mêmes à la campagne ou a Paris, il y a donc un réel souci à ce niveau.” Ce a quoi elle ajoute : “à force de voir tout le monde se plaindre j’avais envie d’action”.
Désormais, elle fonctionne sur une tarification à l’heure : “50 € les 40min ou 70€ pour l’heure, quelle que soit la nature de la séance : j’ai tous types de prise en charge”
Avec la convention, on passe le même temps pour des tarifications complètement différentes : la sécu impose un temps minimum de rééducation de 30 minutes et ça, ça n’existe nulle part ailleurs ! Cela ne sert a rien si le patient n’a en réalité besoin que de 20min”.
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4/ Repenser l’encadrement du conventionnement, apparenté à du salariat
Julie n’est pas contre le conventionnement, mais souhaiterait que les modalités soient assouplies : “il faut un cadre, mais plus souple car là, c’est trop rigide”.
À noter que, contrairement à d’autres professionnels du médical et paramédical, il n’y pas de secteur 1 ou 2 chez les orthophonistes. Selon Julie, la création d’un secteur 2 chez les orthophonistes serait un bon compromis entre le conventionnement et le non-conventionnement, car il leur permettrait de pratiquer le dépassement d’honoraires, ce qui est illégal aujourd’hui. En tant que “conventionnée secteur 1 on ne gagne pas notre vie par rapport aux heures de travail effectuées. Cela empêche les gens de penser par eux-mêmes. Au final, nous restons des salariés de l’Etat” rapporte Julie.
Julie explique aussi qu’aujourd’hui la coordination entre les professionnels de santé dans le cadre d’un parcours de soins est utopique. “Malheuresement, nous n’avons pas le d’échanger avec les autres professionnels du parcours de soins”.
Enfin, les contraintes vaccinales qui pesaient durant le Covid-19 ont fait partie des raisons au déconventionnement.
5/ Diminuer les lapins en responsabilisant les patients
Julie explique qu’en exercice conventionné, le manque d’investissement de la part des patients était notable. Selon elle, l’exercice non-conventionné réduit largement les rendez-vous non honorés. Séverine confirme : “l’investissement des patients est beaucoup plus important…Les gens qui bénéficient de soins remboursés s’investissent bien moins que ceux qui les financent de leur poche.”
Payer les soins de sa poche, c’est en être acteur.
Aujourd’hui, Julie pointe du doigt des suivis qui ne s’arrêtent jamais. “On ne nous apprend pas à finir le soin. Ils sont facilement reconduits des années durant. Lorsque l’on a un enfant jeune, on va le suivre toute sa scolarité”.
Tout cela pèse sur la rapidité d’accès au soin et sur l’investissement du patient. Plus il se repose sur l’orthophoniste, moins il est acteur du soin. C’est pourtant une nécessité pour accélérer la disparition des troubles et réduire l’attente.
Severine conclut : “un trouble spécifique du langage ne se guérit et ça, on ne l’explique pas au parent, quand on est dyslexique on l’est pour la vie c’est un trouble du développement. Nous aidons les patients à s’adapter mais aussi à devenir acteurs de leur trouble.”
Comment se déconventionner en tant qu’orthophoniste ?
Il y a très peu d’informations en ligne. Voici ce que nous apprennent Séverine et Julie.
1/ Pour s’informer, il existe un groupe Facebook nommé “orthos déconventionnés”, ou vous pouvez trouver un certain nombre d’informations sur la procédure et avoir des retours d’expériences.
2/ Créer une entreprise sous un statut juridique particulier. Le plus intéressant est de créer une SELAS (le choix de Julie) ou une SELARL (le choix de Séverine).
Pour rappel, la société diffère de l’Entreprise Individuelle :
- Statut Entreprise individuelle (EI)
- Statut Société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL)
- Statut Société anonyme (SA)
- Statut Société d’exercice libérale par actions simplifiées (SELAS)
- Statut Société par actions simplifiées unipersonnelles (SELASU)
3/ Envoyer un courrier avec accusé de réception à la CPAM de sa région, expliquant son souhait de se déconventionner / ou de ne pas le faire si vous débutez en libéral. Il peut toutefois être judicieux d’avoir quelques années d’expérience avant de se déconventionner, pour se familiariser avec la pratique.
Questions-réponses pour aller plus loin
Quel désavantage ont les non conventionnés ?
Les charges. On est plus taxés explique Julie.
Qu’en pensent les patients ?
“La plupart des gens ont compris, j’ai gardé 50% de mes patients…” déclare Julie.
Elle a remarqué que la démarche a été globalement bien acceptée par les parents. Elle se souvient que la majorité des parents étaient contents de pouvoir alors un rendez-vous plus rapidement. Il en va de même pour Séverine : “je débute en exercice non-conventionné, mais la demande reste la même …On pourrait imaginer que les patients ne souhaitent qu’un unique rendez-vous pour avoir des aménagements, mais en réalité aujourd’hui les gens restent en suivi chez l’orthophoniste comme il le ferait pour le psychologue !”
Quid des patients qui ne continuent pas ?
Séverine explique faire le maximum pour assurer la continuité des soins : “j’ai contacté moi-même des orthophonistes jusqu’à en trouver un/une qui pourrait poursuivre les soins.”
Se déconventionner, c’est réserver le soin à une élite ?
Si pour les patients le prix d’une séance et plus élevé et n’est nécessairement remboursé par la mutuelle, Julie et Severnine assurent afficher des temps d’attente record, voire même supérieurs à avant. “J’ai encore 2 ans d’attente… il est temps de créer quelque chose autrement” souligne Julie. Séverine ajoute : “les gens que je reçois ont vraiment besoin de voir une orthophoniste. Les cas les plus urgents devraient normalement relever d’un centre de référence (service public), mais il n’y a pas de place… “
Ce serait davantage un problème si tous les orthophonistes se déconventionnaient en même temps, ce qui n’est pas pour demain. Pour autant, si les orthophonistes non conventionnés devenaient plus nombreux, une négociation des AMO serait plus facile avec la CPAM. C’est du moins ce qu’espère Julie et Severine.
Augmenter les honoraires, c’est aussi limiter les demandes de prises en charge non pertinentes et améliorer la gestion des urgences. En effet selon la URPS grand est, 25% des demandes de bilans ne sont pas pertinentes.
Séverine “on est pointé du doigt comme a réduire l’accès au soin car c’est trop cher mais c’est pas vrai les gens viennent pour leur enfant même s’ils n’ont pas un niveau de vie très élevé. En contrepartie l’attente est réduite.”
Les honoraires des orthophonistes non conventionnés
Une des principales caractéristiques de l’exercice non conventionné, c’est la liberté pour le praticien de fixer ses honoraires. Il n’y a donc pas de règle, ce qui signifie que l’on peut rencontrer des tarifs très différents d’un cabinet à l’autre.
Tarifs conventionnés | Tarifs non-conventionnés (non exhaustif) | |
Bilan | 60 € | 200 € |
Consultation de suivi | 25 € | 35 € |
Séverine orchestre son tarif selon le temps passé et non plus en fonction de l’acte. Un moyen selon elle optimiser son temps.
Ces tarifs plus élevés permettent notamment de réduire l’attente, mais aussi d’embaucher une assistante ou une secrétaire pour faciliter la gestion administrative. Parfois, Julie et Séverine adaptent leur tarif de façon à ne pas créer une rupture de soin si le patient connaît des difficultés financières.
Julie préconise aux orthophonistes qui souhaitent se déconventionner de se créer un site internet. Au-delà du référencement, cela est nécessaire pour donner des informations basiques aux patients, comme les tarifs.….